nuit-là qu’il écrivit les réflexions suivantes sur un bout de papier que j’ai vu traîner longtemps sur sa table :
« À trente ans !
« Il y a un triste regard à jeter sur le passé, pour y voir… les mortes espérances et les mortes douleurs ; — un plus triste regard à jeter sur l’avenir, pour y voir… l’hiver de la vie !
« Il y a une chose folle à tenter : c’est de continuer d’être un enfant. — Et cependant cela fut beau chez les aimés des dieux : Mozart, Raphaël, Byron, Weber, morts à trente-six ans !
« Il y a une froide chose à faire : c’est de renoncer à tout, de se dire : Rien ne m’est plus ! — Et cependant cela fut beau chez Gœthe.
« Il y a une chose sotte : c’est de se croire supérieur à soi-même, de prendre le titre d’homme fait, et de vivre en égoïste expérimenté.
« Il y a une chose paresseuse et lâche : c’est de ne pas écouter l’heure qui sonne.
« Il y en a une courageuse : c’est de l’entendre, et de vivre pourtant, malgré les dieux. Mais alors il ne faut croire à rien d’éternel.
« Il y en a une sublime : c’est de ne pas même savoir que l’heure sonne. Mais, pour cela, il faut croire à tout.
« Quoi qu’il en soit, il est certain qu’à cet âge le cœur des uns tombe en poussière, tandis que celui des autres persiste. — Posez vos mains sur votre poitrine. Le moment est venu. — Il hésite, — a-t-il cessé de battre ? — Devenez ambitieux ou avare… ou mourez tout de suite, autant vaut. — Bat-il encore ? Laissez faire les dieux ; rien n’est perdu ! »
Le poète avait posé ses mains sur sa poitrine. Il avait écouté son cœur attentivement. Son cœur battait encore ; rien n’était perdu.