bert, en me demandant si cette pièce de vers, glissée dans les papiers de son héros, suffirait à le faire accepter du lecteur pour un poète. Je lui répondis que l’Idylle n’avait d’autre défaut que d’être trop belle, et qu’on ne croirait pas facilement que de tels vers n’aient pas eu le pouvoir de sauver leur auteur.
« Eh ! pourquoi ne le croirait-on pas ? s’écria-t-il. Ou je me suis trompé, ou mon personnage est un vrai poète, c’est-à-dire un enfant incapable de se faire à lui-même une destinée. Sa joie ou son chagrin, sa fortune ou sa misère dépendent des circonstances et non de sa volonté. Il chante l’air que la nature lui a appris, comme le rossignol ; si on veut l’obliger à chanter comme le merle, il se tait ou meurt. De plus grands esprits que Gilbert et Chatterton n’ont été appréciés qu’après leur mort. Quand les poètes sont jetés au milieu d’un monde distrait ou indifférent, ils n’ont plus qu’à s’en aller, ou à se faire commis ou soldats, selon qu’on est en paix ou en guerre ; mais leurs contemporains sont responsables de leur perte vis-à-vis de la postérité. Or, dans ce genre-là, les hommes ont commis assez de sottises pour qu’on puisse ajouter à la liste un malheur imaginaire. D’ailleurs, dans ce roman, je n’accuse pas la société, comme j’en aurais le droit s’il s’agissait d’un personnage historique, et comme Alfred de Vigny a eu raison de le faire dans Stello. Il faut même que le titre prouve que je n’ai voulu intenter de procès à per-