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par l’appétit et l’exercice, on fit de la musique, et la soirée se passa gaiement. Nous rentrâmes ensemble fort tard. Avant de se mettre au lit, Alfred voulut achever la lecture de ce roman qu’il avait laissé de côté le matin. Il me lut à haute voix une phrase dans laquelle nous comptâmes un nombre incroyable d’adjectifs. Chaque substantif en traînait deux ou trois à sa suite, ce qui donnait au style l’allure la plus baroque du monde ; le lecteur, de bonne humeur, me demanda ce que j’en pensais, et je lui répondis comme Léandre : « Il est fort à la mode. »

— Je voudrais bien savoir, reprit Alfred, l’effet que ce style peut produire sur l’esprit des bonnes gens de la province, et s’ils jugent de la littérature parisienne sur de tels échantillons.

En devisant sur ce sujet jusqu’à une heure fort avancée de la nuit, Alfred conçut la pensée d’écrire une lettre au directeur de la Revue, comme le pourrait faire un habitant de quelque petite ville. Notre conversation décida de la forme qu’il lui plaisait de donner à sa critique, et, au lieu d’un provincial, il crut nécessaire d’en faire comparaître deux. Stendhal, qui était de nos amis, avait publié divers articles tantôt sous le pseudonyme de Dupuis, tantôt sous celui de Cotonet. Alfred adopta ces deux noms, en songeant avec plaisir que Stendhal en serait intrigué. Peu de temps après parut, dans la Revue, la première lettre de Deux Habitants de la Ferté-sous-Jouarre, sur