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Un rêve m’apparaît, qui passe et qui s’envole ; —
Les heureux sont les fous : les poètes le sont.

J’entoure de mes bras une forme légère ;
J’écoute à mon chevet murmurer une voix ;
Un bel ange aux yeux noirs sourit à ma misère ;
Je regarde le ciel, Ninon, et je vous vois.

Ô mon unique amour, cette douleur chérie,
Ne me l’arrachez pas, quand j’en devrais mourir !
Je me tais devant vous ; — quel mal fait ma folie ?
Ne me plaignez jamais, et laissez-moi souffrir.


Une fois écrits, ces vers ne pouvaient manquer de parvenir tôt ou tard à celle qui les avait inspirés. Si l’auteur eût essayé de les remettre de la main à la main, comme les premières stances à Ninon, peut-être aurait-on refusé de les prendre ; mais la poste aux lettres semble inventée pour trancher les difficultés de ce genre. Ce fut elle qui porta les secondes stances à leur adresse. Alfred attendit, non sans inquiétude. Il reçut par la même voie une large enveloppe. La dame ne savait guère bien dessiner ; mais cette enveloppe contenait un dessin à la plume, représentant une grande pendule de salon, que l’amoureux n’eut pas de peine à reconnaître, et les aiguilles de cette pendule marquaient trois heures.

Le soir de ce jour-là, notre poète était dans une joie qui débordait, malgré ses efforts pour paraître grave et maître de lui. Il ne se possédait plus. Les secondes stances à Ninon avaient eu le même succès.