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tion que ce sera comme d’une fluxion de poitrine. Il est aisé de prévoir ce qui va vous arriver : pour obéir à ton ingrate, tu ne lui souffleras mot de ton amour, mais tu lui prouveras dix fois par jour que tu l’aimes. Elle, de son côté, sera touchée de ta force d’âme et, pour te remercier de ne plus l’aimer, elle t’aimera ; si bien qu’au bout de quinze jours de ce régime, il en sera de ton obéissance et de ses résolutions comme de la vertu de cet ivrogne corrigé qui, pour se récompenser d’avoir passé devant la porte du cabaret sans y entrer, retourna sur ses pas, et y entra. »

Au plus fort de tous ses chagrins, Alfred de Musset a toujours aimé qu’on le fît rire aux dépens de lui-même. C’était une de ses consolations. Je le savais et j’en usais souvent ; mais, tout en riant de mes gronderies, il sentait bien au fond qu’elles étaient justes. À quelques jours près, tout se passa comme je l’avais annoncé. Alfred voyait trois ou quatre fois par semaine son inflexible maîtresse. Il observait scrupuleusement la consigne, et ne prononçait pas un mot d’amour ; mais il enrageait tout bas. La tentation lui vint de recourir encore à la poésie pour rompre le silence, et, comme ce moyen lui avait réussi une première fois, il composa de nouvelles stances pour soulager son cœur, en se proposant de réfléchir ensuite avant de les envoyer. Voici ces vers, qui n’ont jamais été publiés :