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n’eût point de reproche à lui faire. Un matin, en marchant dans la rue de Buci, le visage soucieux, les yeux baissés, il rêvait au danger d’adresser à cette femme une déclaration d’amour par écrit. Tout à coup il s’écria : « Si je vous le disais, pourtant, que je vous aime ? » Et, en relevant la tête, il se trouva en face d’un passant qui se mit à rire de cette exclamation. Son incertitude se changea naturellement en sujet de poésie. Il composa les Stances à Ninon. Le soir, dans le salon de la dame, en présence de dix personnes, il tira un papier de sa poche, et il le remit à la maîtresse de la maison, en lui disant, de l’air le plus simple du monde, qu’il avait écrit quelques vers, et qu’il désirait savoir ce qu’elle en pensait. La dame lut les vers tout bas, d’un air indifférent, et rendit le papier sans rien dire ; puis elle le redemanda, le garda quelque temps ouvert dans sa main, et le mit dans sa poche, comme sans y songer.

Le lendemain, Alfred sortit avant l’heure ordinaire des visites pour courir au-devant de la réprimande à laquelle il s’attendait. Il ne trouva personne ; on le fuyait. Lorsque enfin il obtint audience, c’était devant témoins. La dame n’avait point l’air de se souvenir qu’on lui eût adressé des vers. Alfred fit semblant de n’avoir pas plus de mémoire qu’elle ; mais l’amour n’y perdit rien. Ce silence finit par une explication brusque et des aveux complets dont il n’y avait plus à se dédire. Dans ce premier épisode, le bonheur