Avant d’examiner en quel état de fortune nous laissait la mort de notre père, il nous parut évident qu’en supprimant du budget de la famille les appointements d’une belle place, notre position devait nécessairement changer. Nous nous trompions : des ressources imprévues se présentèrent ; mais leur importance était encore douteuse, lorsque mon frère me fit part d’une résolution qui pourra sembler incroyable aujourd’hui :
« Sans l’aisance, me dit-il un soir, point de loisirs, et sans les loisirs, point de poésie. Il ne s’agit plus de faire l’enfant gâté ni de caresser une vocation qui n’est pas une carrière. Il est temps d’agir et de penser en homme. À l’idée d’être une cause de gêne pour la meilleure des mères, de nuire peut-être à l’avenir d’une sœur que nous adorons et qu’il faudra penser à marier dans dix ans, je me révolte contre moi-même. Non, ce n’est pas à cette épreuve-là que je mettrai le dévouement de tout ce qui m’est cher. Voici donc le parti que je suis bien déterminé à prendre : je tenterai un dernier essai en écrivant un second volume de vers, meilleur que le premier. Si la publication de cet ouvrage ne me procure pas les moyens d’existence que j’en attends, je m’engagerai dans les hussards de Chartres ou dans le régiment de lanciers où est mon camarade de collège, le prince d’Eckmühl. L’uniforme m’ira bien. Je suis jeune et d’une bonne santé. J’aime l’exercice du cheval, et, avec des protections, ce sera bien le diable si je ne deviens pas officier. »