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VI


Je n’ai pas besoin de dire que, dans cette affaire, Croisilles n’avait rien gardé. D’un autre côté, sa maison était vendue ; il ne lui restait pour tout bien que les habits qu’il avait sur le corps ; point de gîte, et pas un denier. Avec toute la bonne volonté possible, Jean ne pouvait supposer que son maître fût réduit à un tel dénûment ; Croisilles était, non pas trop fier, mais trop insouciant pour le dire ; il prit le parti de coucher à la belle étoile, et, quant aux repas, voici le calcul qu’il fit : il présumait que le vaisseau qui portait sa fortune mettrait six mois à revenir au Havre ; il vendit, non sans regret, une montre d’or que son père lui avait donnée, et qu’il avait heureusement gardée ; il en eut trente-six livres. C’était de quoi vivre à peu près six mois avec quatre sous par jour. Il ne douta pas que ce ne fût assez, et, rassuré par le présent, il écrivit à mademoiselle Godeau pour l’informer de ce qu’il avait fait ; il se garda bien, dans sa lettre, de lui parler de sa détresse ; il lui annonça, au contraire, qu’il avait entrepris une opération de commerce magnifique, dont les résultats étaient prochains et infaillibles ; il lui ex-