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pot où il avait été si poliment et si lestement ruiné la veille.

En s’y rendant, il passa sur le port. Un vaisseau allait en sortir ; le vent était doux, l’Océan tranquille. De toutes parts, des négociants, des matelots, des officiers de marine en uniforme, allaient et venaient. Des crocheteurs transportaient d’énormes ballots pleins de marchandises. Les passagers faisaient leurs adieux ; de légères barques flottaient de tous côtés ; sur tous les visages on lisait la crainte, l’impatience ou l’espérance ; et, au milieu de l’agitation qui l’entourait, le majestueux navire se balançait doucement, gonflant ses voiles orgueilleuses.

— Quelle admirable chose, pensa Croisilles, que de risquer ainsi ce qu’on possède, et d’aller chercher au delà des mers une périlleuse fortune ! Quelle émotion de regarder partir ce vaisseau chargé de tant de richesses, du bien-être de tant de familles ! Quelle joie de le voir revenir, rapportant le double de ce qu’on lui a confié, rentrant plus fier et plus riche qu’il n’était parti ! Que ne suis-je un de ces marchands ! Que ne puis-je jouer ainsi mes quatre cents louis ! Quel tapis vert que cette mer immense, pour y tenter hardiment le hasard ! Pourquoi n’achèterais-je pas quelques ballots de toiles ou de soieries ? qui m’en empêche, puisque j’ai de l’or ? Pourquoi ce capitaine refuserait-il de se charger de mes marchandises ? Et qui sait ? au lieu d’aller perdre cette pauvre et unique somme dans un tripot, je la double-