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pas aisé de dire la raison qui l’en empêchait. C’était comme un mélange de crainte et d’audace, de fausse honte et de romanesque. Et, en effet, que lui aurait répondu l’abbé, s’il lui avait conté son histoire de la veille ? — Vous vous êtes trouvé à propos pour ramasser un éventail ; avez-vous su en profiter ? Qu’avez-vous dit à la marquise ? — Rien. — Vous auriez dû lui parler. — J’étais troublé, j’avais perdu la tête. — Cela est un tort ; il faut savoir saisir l’occasion ; mais cela peut se réparer. Voulez-vous que je vous présente à monsieur un tel ? il est de mes amis ; à madame une telle ? elle est mieux encore. Nous tâcherons de vous faire parvenir jusqu’à cette marquise qui vous a fait peur, et cette fois, etc., etc.

Or le chevalier ne se souciait de rien de pareil. Il lui semblait qu’en racontant son aventure, il l’aurait, pour ainsi dire, gâtée et déflorée. Il se disait que le hasard avait fait pour lui une chose inouïe, incroyable, et que ce devait être un secret entre lui et la fortune ; confier ce secret au premier venu, c’était, à son avis, en ôter tout le prix et s’en montrer indigne. — Je suis allé seul hier au château de Versailles, pensait-il ; j’irai bien seul à Trianon (c’était en ce moment le séjour de la favorite).

Une telle façon de penser peut et doit même paraître extravagante aux esprits calculateurs, qui ne négligent rien et laissent le moins possible au hasard ; mais les gens les plus froids, s’ils ont été jeunes (tout le monde