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qu’on ne peut leur parler soi-même, il écrivit dès le lendemain. Sa lettre n’avait, bien entendu, ni ordre ni raison. Elle était à peu près conçue en ces termes :

« Mademoiselle,

« Dites-moi au juste, je vous en supplie, ce qu’il faudrait posséder de fortune pour pouvoir prétendre à vous épouser. Je vous fais là une étrange question ; mais je vous aime si éperdument qu’il m’est impossible de ne pas la faire, et vous êtes la seule personne au monde à qui je puisse l’adresser. Il m’a semblé, hier au soir, que vous me regardiez au spectacle. Je voulais mourir ; plût à Dieu que je fusse mort, en effet, si je me trompe et si ce regard n’était pas pour moi ! Dites-moi si le hasard peut être assez cruel pour qu’un homme s’abuse d’une manière à la fois si triste et si douce. J’ai cru que vous m’ordonniez de vivre. Vous êtes riche, belle, je le sais ; votre père est orgueilleux et avare, et vous avez le droit d’être fière ; mais je vous aime, et le reste est un songe. Fixez sur moi ces yeux charmants, pensez à ce que peut l’amour, puisque je souffre, que j’ai tout lieu de craindre, et que je ressens une inexprimable jouissance à vous écrire cette folle lettre qui m’attirera peut-être votre colère ; mais pensez aussi, mademoiselle, qu’il y a un peu de votre faute dans cette folie. Pourquoi m’avez-vous laissé ce bouquet ? Mettez-vous un instant, s’il se peut, à ma place ; j’ose croire que vous m’aimez, et j’ose vous demander de