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le trouverons chez toi tout à l’heure. Songe donc que Javotte ne peut décemment accepter ton cadeau qu’à titre d’échange. Quant à ton duel, n’y songe plus.

— Eh, mon Dieu ! je n’y songe pas ; j’y vais.

— Fou que tu es ! et notre mère ?

Tristan baissa la tête sans répondre, et les deux frères rentrèrent chez eux.

Javotte n’était pourtant pas aussi méchante qu’on pourrait le croire. Elle avait passé la journée dans une perplexité singulière. Ce bracelet redemandé, cette insistance, ce duel projeté, tout cela lui semblait autant de rêveries incompréhensibles ; elle cherchait ce qu’elle avait à faire, et sentait que le plus sage eût été de demeurer indifférente à des événements qui ne la regardaient pas. Mais si madame Rosenval avait toute la fierté d’une reine de théâtre, Javotte, au fond, avait bon cœur. Berville était jeune et aimable ; le nom de cette marquise mêlé à tout cela, ce mystère, ces demi-confidences, plaisaient à l’imagination de la grisette parvenue.

— S’il était vrai qu’il m’aime encore un peu, pensait-elle, et qu’une marquise fût jalouse de moi, y aurait-il grand risque à donner ce bracelet ? Ni le baron ni d’autres ne s’en douteraient ; je ne le porte jamais ; pourquoi ne pas rendre service, si cela ne fait de mal à personne ?

Tout en réfléchissant, elle avait ouvert un petit secrétaire dont la clef était suspendue à son cou. Là