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sette, et nous suivait d’un air mécontent. Que te dirai-je ? Il me parut plaisant de prendre à peu près au sérieux ce rôle que l’occasion m’offrait. J’emmenai souper la petite fille. Saint-Aubin, le lendemain, vint me trouver et voulut se fâcher. Je lui ris au nez, et je n’eus pas de peine à lui faire entendre raison. Il convint de bonne grâce qu’il n’était guère possible de se couper la gorge pour une demoiselle qui se réfugiait au bal masqué pour fuir la jalousie de son amant. Tout se passa en plaisanterie, et l’affaire fut oubliée ; tu vois que le mal n’est pas grand.

— Non, certes ; il n’y a là rien de bien grave.

— Voici maintenant ce qui arrive : Saint-Aubin, comme tu sais, voit quelquefois madame de Vernage. Il est venu ici et à Renonval. Or, cette nuit, au moment même où la marquise, assise près de moi, écoutait de son grand air de reine toutes les folies qui me passaient par la tête, et essayait, en souriant, cette bague qui, grâce au ciel, est encore à mon doigt, sais-tu ce qu’elle imagine de me dire ? Que cette histoire de bal lui a été contée, qu’elle la sait de bonne source, que Saint-Aubin adorait cette grisette, qu’il a été au désespoir de l’avoir perdue, qu’il a voulu se venger, qu’il m’a demandé raison, que j’ai reculé, et qu’alors…

Tristan ne put achever. Pendant quelques minutes les deux frères marchèrent en silence.

— Qu’as-tu répondu ? dit enfin Armand.

— Je lui ai répondu une chose très simple. Je lui ai