Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/193

Cette page a été validée par deux contributeurs.

se mettant à marcher à grands pas, l’entraîna à l’écart dans une allée ; là, dès que les deux jeunes gens furent seuls :

— La patience m’échappe, dit Tristan. J’espère que tu ne me crois pas assez sot pour me fâcher d’une plaisanterie ; mais cette plaisanterie a un motif. Sais-tu ce qu’elle vient chercher ici ? Elle vient me braver, jouer avec ma colère, et voir jusqu’à quel point j’endurerai son audace ; elle sait ce que signifie son froid persiflage. Misérable cœur ! méprisable femme, qui, au lieu de respecter mon silence et de me laisser m’éloigner d’elle en paix, vient promener ici sa petite vanité, et se faire une sorte de triomphe d’une discrétion qu’on ne lui doit pas !

— Explique-toi, dit Armand ; qu’y a-t-il ?

— Tu sauras tout, car, aussi bien, tu y es intéressé, puisque tu es mon frère. Hier au soir, pendant que nous causions sur la route, et que tu me disais tant de mal de cette femme, je suis descendu de cheval au carrefour des Roches. Il y avait à terre une branche de saule, que tu ne m’as pas vu ramasser ; cette branche de saule, c’était madame de Vernage qui l’avait enfoncée dans le sable, en se promenant le matin. Elle riait tout à l’heure en m’en faisant casser d’autres aux arbres ; mais celle-là avait un sens : elle voulait dire que la gouvernante et les enfants de la marquise étaient allés chez son oncle à Beaumont, que la Bretonnière ne viendrait pas dîner, et que, si je craignais d’éveiller les