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ché à se reconnaître ; puis, en un instant, ils se devinèrent, et se dirent d’un regard : Nous sommes muets tous deux.

L’oncle Giraud apportait à sa nièce son mantelet, sa canne et son loup, mais elle ne voulut plus s’en aller, elle avait repris sa chaise, et resta accoudée sur la balustrade.

L’abbé de l’Épée venait alors de commencer à se faire connaître.

Faisant une visite à une dame, dans la rue des Fossés-Saint-Victor, touché de pitié pour deux sourdes-muettes qu’il avait vues, par hasard, travailler à l’aiguille, la charité qui remplissait son âme s’était éveillée tout à coup, et opérait déjà des prodiges. Dans la pantomime informe de ces êtres misérables et méprisés, il avait trouvé les germes d’une langue féconde, qu’il croyait pouvoir devenir universelle, plus vraie, en tout cas, que celle de Leibnitz. Comme la plupart des hommes de génie, il avait peut-être dépassé son but, le voyant trop grand ; mais c’était déjà beaucoup d’en voir la grandeur. Quelle que pût être l’ambition de sa bonté, il apprenait aux sourds-muets à lire et à écrire. Il les replaçait au nombre des hommes. Seul et sans aide, par sa propre force, il avait entrepris de faire une famille de ces malheureux, et il se préparait à sacrifier à ce projet sa vie et sa fortune, en attendant que le roi jetât les yeux sur eux.

Le jeune homme assis près de la loge de Camille