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rien, je n’y avais pas pensé. Mais qu’importe ? ce n’est pas nécessaire dans ces endroits-là. Tu n’entends pas, moi, je n’écoute pas. Nous regarderons danser, voilà tout.

Ainsi parlait le bon oncle, qui ne pouvait jamais songer, quand il avait quelque chose d’intéressant à dire, que sa nièce ne pouvait l’entendre ni lui répondre. Il causait avec elle malgré lui. D’une autre part, quand il essayait de s’exprimer par signes, c’était encore pire ; elle le comprenait encore moins. Aussi avait-il adopté l’habitude de lui parler comme à tout le monde, en gesticulant, il est vrai, de toutes ses forces ; Camille s’était faite à cette pantomime parlante, et trouvait moyen d’y répondre à sa façon.

Le deuil de Camille venait de finir en effet, comme le disait le bonhomme. Il avait fait faire deux belles robes à sa nièce, et les lui présentait d’un air à la fois si tendre et si suppliant, qu’elle lui sauta au cou pour le remercier, puis elle se rassit avec la tristesse calme qu’on lui voyait toujours.

— Mais ce n’est pas tout, dit l’oncle, il faut les mettre, ces belles robes. Elles sont faites pour cela, ces robes ; elles sont jolies, ces robes. Et, tout en parlant, il se promenait par la chambre en faisant danser les robes comme des marionnettes.

Camille avait assez pleuré pour qu’un moment de joie lui fût permis. Pour la première fois depuis la mort de sa mère, elle se leva, se plaça devant son mi-