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de vos nouvelles !… Monsieur, c’est une vilaine idée que vous avez de jeter le manche après la cognée. Chacun a son temps d’épreuve ici-bas, et j’ai été soldat avant d’être domestique. J’ai rudement souffert, mais j’étais jeune ; j’avais votre âge, monsieur, à cette époque-là, et il me semblait que la Providence ne peut pas dire son dernier mot à un homme de vingt-cinq ans. Pourquoi voulez-vous empêcher le bon Dieu de réparer le mal qu’il vous fait ? Laissez-lui le temps, et tout s’arrangera. S’il m’était permis de vous conseiller, vous attendriez seulement deux ou trois ans, et je gagerais que vous vous en trouveriez bien. Il y a toujours moyen de s’en aller de ce monde. Pourquoi voulez-vous profiter d’un mauvais moment ?

Pendant que Jean s’évertuait à persuader son maître, celui-ci marchait en silence, et, comme font souvent ceux qui souffrent, il regardait de côté et d’autre, comme pour chercher quelque chose qui pût le rattacher à la vie. Le hasard fit que, sur ces entrefaites, mademoiselle Godeau, la fille du fermier général, vint à passer avec sa gouvernante. L’hôtel qu’elle habitait n’était pas éloigné de là ; Croisilles la vit entrer chez elle. Cette rencontre produisit sur lui plus d’effet que tous les raisonnements du monde. J’ai dit qu’il était un peu fou, et qu’il cédait presque toujours à un premier mouvement. Sans hésiter plus longtemps et sans s’expliquer, il quitta le bras de son vieux domestique, et alla frapper à la porte de M. Godeau.