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même à Paris, au sein de la civilisation la plus avancée, les sourds-muets étaient regardés comme une espèce d’êtres à part, marqués du sceau de la colère céleste. Privés de la parole, on leur refusait la pensée. Le cloître pour ceux qui naissaient riches, l’abandon pour les pauvres, tel était leur sort ; ils inspiraient plus d’horreur que de pitié.

Le chevalier tomba peu à peu dans le plus profond chagrin. Il passait la plus grande partie du jour seul, enfermé dans son cabinet, ou se promenait dans les bois. Il s’efforçait, lorsqu’il voyait sa femme, de montrer un visage tranquille, et tentait de la consoler, mais en vain. Madame des Arcis, de son côté, n’était pas moins triste. Un malheur mérité peut faire verser des larmes, presque toujours tardives et inutiles ; mais un malheur sans motif accable la raison, en décourageant la piété.

Ces deux nouveaux mariés, faits pour s’aimer et qui s’aimaient, commencèrent ainsi à se voir avec peine et à s’éviter dans les mêmes allées où ils venaient de se parler d’un espoir si prochain, si tranquille et si pur. Le chevalier, en s’exilant volontairement dans sa maison de campagne, n’avait pensé qu’au repos ; le bonheur avait semblé l’y surprendre. Madame des Arcis n’avait fait qu’un mariage de raison ; l’amour était venu, il était réciproque. Un obstacle terrible se plaçait tout à coup entre eux, et cet obstacle était précisément l’objet même qui eût dû être un lien sacré.