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galanterie, le ton dont elle était prononcée fit lever les yeux à la veuve. Elle jeta sur le jeune homme un regard, non pas sévère, mais sérieux ; ce regard troubla Valentin, déjà ému de ses propres paroles ; il roula l’esquisse et allait la remettre dans sa poche, quand madame Delaunay se leva et la lui prit des mains d’un air de raillerie timide. Il se mit à rire, et à son tour s’empara lestement du papier.

— Et de quel droit, madame, m’ôteriez-vous ma propriété ? Est-ce que cela ne m’appartient pas ?

— Non, dit-elle assez sèchement ; personne n’a le droit de faire un portrait sans le consentement du modèle.

Elle s’était rassise à ce mot, et Valentin, la voyant un peu agitée, s’approcha d’elle et se sentit plus hardi. Soit repentir d’avoir laissé voir le plaisir qu’elle avait d’abord ressenti, soit désappointement, soit impatience, madame Delaunay avait la main tremblante. Valentin, qui venait de baiser celle de madame de Parnes, et qui ne l’avait pas fait trembler pour cela, prit, sans autre réflexion, celle de la veuve. Elle le regarda d’un air stupéfait, car c’était la première fois qu’il arrivait à Valentin d’être si familier avec elle. Mais, quand elle le vit s’incliner et approcher ses lèvres de sa main, elle se leva, lui laissa prendre sans résistance un long baiser sur sa mitaine, et lui dit avec une extrême douceur :

— Mon cher monsieur, ma mère a besoin de moi ; je suis fâchée de vous quitter.