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jour. Il passait, disait-il, ses mauvais moments à rêver, et ses bons moments à réaliser ses rêves : tantôt à Paris, tantôt à la campagne, on le rencontrait avec son fracas, presque toujours seul, preuve que ce n’était pas vanité de sa part. D’ailleurs il faisait ses extravagances avec la simplicité d’un grand seigneur qui se passe un caprice. Voilà un bon commis ! direz-vous ; aussi le mit-on à la porte.

Avec la liberté et l’oisiveté revinrent des tentations de toute espèce. Quand on a beaucoup de désirs, beaucoup de jeunesse et peu d’argent, on court grand risque de faire des sottises. Valentin en fit d’assez grandes. Toujours poussé par sa manie de changer des rêves en réalité, il en vint à faire les plus dangereux rêves. Il lui passait, je suppose, par la tête de se rendre compte de ce que peut être la vie d’un tel qui a cent mille francs à manger par an. Voilà mon étourdi qui, toute une journée, n’en agissait ni plus ni moins que s’il eût été le personnage en question. Jugez où cela peut conduire avec un peu d’intelligence et de curiosité. Le raisonnement de Valentin sur sa manière de vivre était, du reste, assez plaisant. Il prétendait qu’à chaque créature vivante revient de droit une certaine somme de jouissance ; il comparait cette somme à une coupe pleine que les économes vident goutte à goutte, et qu’il buvait, lui, à grands traits. — Je ne compte pas les jours, disait-il, mais les plaisirs ; et le jour où je dépense vingt-cinq louis, j’ai cent quatre-vingt-deux mille cinq cents livres de rente.