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disent-ils à la première feuille ; passablement, à la seconde, et, à la troisième, pas du tout. Ainsi faisait Valentin de ses journées ; mais le passablement n’y était pas, car il ne pouvait le souffrir.

Pour vous le faire mieux connaître, il faut vous dire un trait de son enfance. Valentin couchait, à dix ou douze ans, dans un petit cabinet vitré, derrière la chambre de sa mère. Dans ce cabinet d’assez triste apparence, et encombré d’armoires poudreuses, se trouvait, entre autres nippes, un vieux portrait avec un grand cadre doré. Quand, par une belle matinée, le soleil donnait sur ce portrait, l’enfant, à genoux sur son lit, s’en approchait avec délices. Tandis qu’on le croyait endormi, en attendant que l’heure du maître arrivât, il restait parfois des heures entières le front posé sur l’angle du cadre ; les rayons de lumière, frappant sur les dorures, l’entouraient d’une sorte d’auréole où nageait son regard ébloui. Dans cette posture, il faisait mille rêves ; une extase bizarre s’emparait de lui. Plus la clarté devenait vive, et plus son cœur s’épanouissait. Quand il fallait enfin détourner les yeux, fatigués de l’éclat de ce spectacle, il fermait alors ses paupières, et suivait avec curiosité la dégradation des teintes nuancées dans cette tache rougeâtre qui reste devant nous quand nous fixons trop longtemps la lumière ; puis il revenait à son cadre, et recommençait de plus belle. Ce fut là, m’a-t-il dit lui-même, qu’il prit un goût passionné pour l’or et le soleil, deux excellentes choses du reste.