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au contraire, un peu. L’une était mariée, il est vrai, et l’autre veuve ; l’une riche, et l’autre très pauvre ; mais elles avaient presque le même âge, et elles étaient toutes deux brunes et fort petites. Bien qu’elles ne fussent ni sœurs ni cousines, il y avait entre elles un air de famille : de grands yeux noirs, même finesse de taille ; c’étaient deux ménechmes femelles. Ne vous effrayez pas de ce mot ; il n’y aura pas de quiproquo dans ce conte.

Avant d’en dire plus de ces dames, il faut parler de notre héros. Vers 1825 environ, vivait à Paris un jeune homme que nous appellerons Valentin. C’était un garçon assez singulier, et dont l’étrange manière de vivre aurait pu fournir quelque matière aux philosophes qui étudient l’homme. Il y avait, en lui, pour ainsi dire, deux personnages différents. Vous l’eussiez pris, en le rencontrant un jour, pour un petit maître de la Régence. Son ton léger, son chapeau de travers, son air d’enfant prodigue en joyeuse humeur, vous eussent fait revenir en mémoire quelque talon rouge du temps passé. Le jour suivant, vous n’auriez vu en lui qu’un modeste étudiant de province se promenant un livre sous le bras. Aujourd’hui il roulait carrosse et jetait l’argent par les fenêtres ; demain il allait dîner à quarante sous. Avec cela, il recherchait en toute chose une sorte de perfection et ne goûtait rien qui fût incomplet. Quand il s’agissait de plaisir, il voulait que tout fût plaisir, et n’était pas homme à acheter une jouissance par un moment d’ennui. S’il avait une loge au spectacle, il voulait que