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nement, qui lui était annoncé d’une manière si peu intelligible. Il courut à l’hôtel de Marsan, et, sans parler à aucun domestique, il pénétra jusqu’au salon. Là, il s’arrêta à la pensée de compromettre celle qu’il aimait et de la perdre peut-être par sa faute. Entendant quelqu’un approcher, il se jeta derrière un rideau : c’était le comte qui entrait. Demeuré seul, Gilbert avança, et, entr’ouvrant la porte d’un cabinet vitré, il vit Emmeline couchée et son mari près d’elle. Au pied du lit était un linge couvert de sang, et le médecin s’essuyait les mains. Ce spectacle lui fit horreur ; il frémit de l’idée d’ajouter, par son imprudence, aux maux de sa maîtresse, et, marchant sur la pointe du pied, il sortit de l’hôtel sans être remarqué.

Il sut bientôt que la comtesse avait été en danger de mort ; une nouvelle lettre lui apprit en détail ce qui s’était passé. « Renoncer à nous voir, disait Emmeline, est impossible, il n’y faut pas songer ; et cette idée qui vous désole ne me cause aucune peine, car je ne puis l’admettre un instant. Mais nous séparer pour six mois, pour un an, voilà ce qui me fait sangloter et me déchire l’âme, car c’est là tout ce qui est possible. » Elle ajoutait que, si, avant son départ, il éprouvait un désir trop vif de la revoir encore une fois, elle y consentirait. Il refusa cette entrevue ; il avait besoin de toute sa force ; et, bien que convaincu de la nécessité de s’éloigner, il ne pouvait prendre aucun parti. Vivre sans Emmeline lui semblait un mot vide de sens, et, pour ainsi dire,