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légère, donna lieu à mille interprétations dont pas une ne fut vraie, parce que pas une n’était simple, et qu’on voulut trouver à toute force une cause extraordinaire à un fait inusité. Quelques détails, nécessaires pour expliquer les choses, vous donneront en même temps une idée de notre héroïne.

Après avoir été l’enfant le plus turbulent, studieux, maladif et entêté qu’il y eût au monde, Emmeline était devenue, à quinze ans, une jeune fille au teint blanc et rose, grande, élancée, et d’un caractère indépendant. Elle avait l’humeur d’une égalité incomparable et une grande insouciance, ne montrant de volonté qu’en ce qui touchait son cœur. Elle ne connaissait aucune contrainte ; toujours seule dans son cabinet, elle n’avait guère, pour le travail, d’autre règle que son bon plaisir. Sa mère, qui la connaissait et savait l’aimer, avait exigé pour elle cette liberté dans laquelle il y avait quelque compensation au manque de direction ; car un goût naturel de l’étude et l’ardeur de l’intelligence sont les meilleurs maîtres pour les esprits bien nés. Il entrait autant de sérieux que de gaieté dans celui d’Emmeline ; mais son âge rendait cette dernière qualité plus saillante. Avec beaucoup de penchant à la réflexion, elle coupait court aux plus graves méditations par une plaisanterie, et dès lors n’envisageait plus que le côté comique de son sujet. On l’entendait rire aux éclats toute seule, et il lui arrivait, au couvent, de réveiller sa voisine, au milieu de la nuit, par sa gaieté bruyante.