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sacrifice puis-je vous offrir que vous consentiez à accepter ?

— C’est à vous de le savoir, dit le comte. — Il se leva et s’en fut sans en dire plus ; mais le soir même il revint chez sa femme, et son visage était moins sévère.

Ces deux jours avaient tellement fatigué Emmeline, qu’elle était d’une pâleur effrayante. M. de Marsan ne put, en le remarquant, se défendre d’un mouvement de compassion.

— Eh bien ! ma chère ! dit-il, qu’avez-vous ?

— Je pense, répondit-elle, et je vois que rien n’est possible.

— Vous l’aimez donc beaucoup ? demanda-t-il.

Malgré l’air froid qu’il affectait, Emmeline vit dans cette question un mouvement de jalousie. Elle crut que la démarche de son mari pouvait bien n’être qu’une tentative de se rapprocher d’elle, et cette idée lui fut pénible. Tous les hommes sont ainsi, pensa-t-elle ; ils méprisent ce qu’ils possèdent, et reviennent avec ardeur à ce qu’ils ont perdu par leur faute. Elle voulut savoir jusqu’à quel point elle devinait juste, et répondit d’un ton hautain :

— Oui, monsieur, je l’aime, et là-dessus, du moins, je ne mentirai pas.

— Je conçois cela, reprit M. de Marsan, et j’aurais mauvaise grâce à vouloir lutter ici contre personne ; je n’en ai ni le moyen ni l’envie.