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celle d’un flambeau qu’elle tient à la main. Sa psyché est en face d’elle ; elle se retourne, écoute ; nul témoin, nul bruit ; elle a entr’ouvert le voile qui la couvre, et, comme Vénus devant le berger de la fable, elle comparaît timidement.

Pour vous parler du jour suivant, je ne puis mieux faire, madame, que de vous transcrire une lettre d’Emmeline à sa sœur, où elle peint elle-même ce qu’elle éprouvait :

« J’étais à lui. À toutes mes anxiétés avait succédé un abattement extrême. J’étais brisée, et ce malaise me plaisait. Je passai la soirée en rêverie ; je voyais des formes vagues, j’entendais des voix lointaines ; je distinguais : « Mon ange, ma vie ! » et je m’affaissais encore, plus encore. Pas une fois ma pensée ne s’est reportée sur les inquiétudes du jour précédent, durant cette demi-léthargie qui me reste en mémoire comme l’état que je choisirais en paradis. Je me couchai et dormis comme un nouveau-né. Au réveil, le matin, un souvenir confus des événements de la veille fit rapidement porter le sang au cœur. Une palpitation me fit dresser sur mon séant, et là je m’entendis m’écrier à haute voix : C’en est fait ! J’appuyai ma tête sur mes genoux, et je me précipitai au fond de mon âme. Pour la première fois, il me vint la crainte qu’il ne m’eût mal jugée. La simplicité avec laquelle j’avais cédé pouvait lui donner cette opinion. En dépit de son esprit, de son tact, je pouvais craindre une mauvaise expé-