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nité, de jeter le temps par les fenêtres. Mais nous, pauvres mortels, notre chance n’est pas si longue. Aussi, je vous livre mon héros pour ce qu’il est ; je crois pourtant que, s’il eût agi de toute autre manière, il eût été traité comme de Sorgues.

Madame de Marsan revint au bout de la semaine. Gilbert arriva un soir chez elle de très bonne heure. La chaleur était accablante. Il la trouva seule au fond de son boudoir, étendue sur un canapé. Elle était vêtue de mousseline, les bras et le col nus. Deux jardinières pleines de fleurs embaumaient la chambre ; une porte ouverte sur le jardin laissait entrer un air tiède et suave. Tout disposait à la mollesse. Cependant une taquinerie étrange, inaccoutumée, vint traverser leur entretien. Je vous ai dit qu’il leur arrivait continuellement d’exprimer en même temps, et dans les mêmes termes, leurs pensées, leurs sensations ; ce soir-là ils n’étaient d’accord sur rien, et par conséquent tous deux de mauvaise foi. Emmeline passait en revue certaines femmes de sa connaissance. Gilbert en parla avec enthousiasme ; et elle en disait du mal à proportion. L’obscurité vint ; il se fit un silence. Un domestique entra, apportant une lampe ; madame de Marsan dit qu’elle n’en voulait pas, et qu’on la mît dans le salon. À peine cet ordre donné, elle parut s’en repentir, et, s’étant levée avec quelque embarras, elle se dirigea vers son piano. — Venez voir, dit-elle à Gilbert, le petit tabouret de ma loge, que je viens de faire monter autrement ; il me sert maintenant