Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/364

Cette page a été validée par deux contributeurs.

un cinquième, dit madame de Vercelles après dîner, nous ferions une bouillotte (on jouait alors la bouillotte à cinq). Margot, assise dans un coin, se garda bien de dire qu’elle savait y jouer, et sa marraine proposa un whist. Le souper venu, au dessert, on pria mademoiselle de Vercelles de chanter ; la demoiselle se fit longtemps prier, puis elle entonna d’une voix fraîche et légère un petit refrain assez joyeux. Margot ne put s’empêcher, en l’écoutant, de soupirer, et de songer à la maison de son père, où c’était elle qui chantait au dessert ; lorsqu’il fut temps de se retirer, elle trouva, en entrant dans sa chambre, qu’on en avait enlevé deux meubles qui étaient ceux qu’elle préférait, une grande bergère et une petite table en marqueterie sur laquelle elle posait son miroir pour se coiffer. Elle entr’ouvrit sa croisée en tremblant, pour regarder un instant la lumière qui brillait ordinairement derrière les rideaux de Gaston : c’était son adieu de tous les soirs ; mais ce jour-là point de lumière, Gaston avait fermé ses volets ; elle se coucha la mort dans l’âme, et ne put dormir de la nuit.

Quel motif amenait les deux étrangères, et combien de temps durerait leur séjour ? Voilà ce que Margot ne pouvait savoir ; mais il était clair que leur présence se rattachait aux entretiens secrets de madame Doradour et de son fils. Il y avait là un mystère impossible à deviner, et, quel que fût ce mystère, Margot sentait qu’il devait détruire son bonheur. Elle avait d’abord supposé