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Ninon, vous êtes fine, et votre insouciance
Se plaît, comme une fée, à deviner d’avance ; —
Vous me répondriez peut-être : Je le sais.

Si je vous le disais, qu’une douce folie
A fait de moi votre ombre et m’attache à vos pas : —
Un petit air de doute et de mélancolie,
Vous le savez, Ninon, vous rend bien plus jolie ; —
Peut-être diriez-vous que vous n’y croyez pas.

Si je vous le disais, que j’emporte dans l’âme
Jusques aux moindres mots de nos propos du soir : —
Un regard offensé, vous le savez, madame,
Change deux yeux d’azur en deux éclairs de flamme ; —
Vous me défendriez peut-être de vous voir.

Si je vous le disais, que chaque nuit je veille,
Que chaque jour je pleure et je prie à genoux : —
Ninon, quand vous riez, vous savez qu’une abeille
Prendrait pour une fleur votre bouche vermeille ; —
Si je vous le disais, peut-être en ririez-vous.

Mais vous n’en saurez rien ; — je viens, sans en rien dire,
M’asseoir sous votre lampe et causer avec vous ; —
Votre voix, je l’entends, votre air, je le respire ;
Et vous pouvez douter, deviner et sourire,
Vos yeux ne verront pas de quoi m’être moins doux.

Je récolte en secret des fleurs mystérieuses :
Le soir, derrière vous, j’écoute au piano
Chanter sur le clavier vos mains harmonieuses,
Et dans les tourbillons de nos valses joyeuses,
Je vous sens dans mes bras plier comme un roseau.

La nuit, quand de si loin le monde nous sépare,
Quand je rentre chez moi pour tirer mes verrous,