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quand on part avec lui pour la Suisse ? Peu à peu, toutefois, l’illusion se dissipa ; Margot commença à penser à l’étourderie qu’elle venait de faire. — S’en est-il aperçu ? se demanda-t-elle ; dort-il, ou en fait-il semblant ? S’il s’en est aperçu, comment n’a-t-il pas ôté sa main ? et, s’il dort, comment cela ne l’a-t-il pas réveillé ? Peut-être me méprise-t-il trop pour daigner me montrer qu’il a senti mon pied ; peut-être qu’il en est bien aise, et qu’en feignant de ne pas le sentir, il s’attend que je vais recommencer ; peut-être croit-il que je dors moi-même. Il n’est pourtant pas agréable d’avoir le pied d’un autre sur sa main, à moins qu’on n’aime cette personne-là. Mon soulier doit avoir sali son gant, car nous avons beaucoup marché aujourd’hui ; mais peut-être qu’il ne veut pas avoir l’air de tenir à si peu de chose. Que dirait-il si je recommençais ? mais il sait bien que je n’oserai jamais ; peut-être devine-t-il mon incertitude, et s’amuse-t-il à me tourmenter ? Tout en réfléchissant ainsi, Margot retirait doucement son pied, avec toute la précaution possible : ce petit pied tremblait comme une feuille ; en tâtonnant dans l’obscurité, il effleura de nouveau le bout des doigts du jeune homme, mais si légèrement que Margot elle-même eut à peine le temps de s’en apercevoir. Jamais son cœur n’avait battu si vite ; elle se crut perdue, et s’imagina qu’elle avait commis une imprudence irréparable. — Que va-t-il penser, se dit-elle ; quelle opinion aura-t-il de moi ? Dans quel embarras vais-je me trouver ?