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leur de pourpre, qu’elle n’osait la détacher de l’arbre, et qu’il lui semblait que c’eût été un meurtre de la manger. Elle ne passait jamais devant sans l’admirer, et elle avait recommandé au jardinier qu’on ne s’avisât pas d’y toucher, sous peine d’encourir sa colère et les reproches de sa marraine. Un jour, au soleil couchant, Gaston, revenant de la chasse, traversa le potager ; pressé par la soif, il étendit la main en passant près de l’espalier, et le hasard fit qu’il en arracha le fruit favori de Margot, dans lequel il mordit sans respect. Elle était à quelques pas de là, arrosant un carré de légumes ; elle accourut aussitôt, mais le jeune homme, ne la voyant pas, continua sa route. Après une ou deux bouchées, il jeta le fruit à terre et entra dans la maison. Margot avait vu, du premier coup d’œil, que sa chère pêche était perdue. Le brusque mouvement de Gaston, l’air d’insouciance avec lequel il avait jeté la pêche, avaient produit sur la petite fille un effet bizarre et inattendu. Elle était désolée et en même temps ravie, car elle pensait que Gaston devait avoir grand’soif, par le soleil ardent qu’il faisait, et que ce fruit devait lui avoir fait plaisir. Elle ramassa la pêche, et, après avoir soufflé dessus pour en essuyer la poussière, elle regarda si personne ne pouvait la voir, puis elle y déposa un baiser furtif ; mais elle ne put s’empêcher en même temps de donner un petit coup de dent pour y goûter. Je ne sais quelle singulière idée lui traversa l’esprit, et, pensant peut-être au fruit, peut-être à elle-