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devant nous, et se colorant, comme l’arc-en-ciel, de toutes les nuances de la création. Il arrive, il est vrai, que la bulle crève et nous envoie quelques gouttes d’eau dans les yeux ; mais aussitôt il s’en forme une nouvelle, et pour la maintenir en l’air nous n’avons besoin que de respirer.

Par ces réflexions philosophiques, je veux montrer qu’il n’est pas étonnant que Margot fût un peu amoureuse du jeune garçon qui l’avait aperçue dans son bain, et je veux dire aussi que pour cela on ne doit pas prendre mauvaise opinion d’elle. Lorsque l’amour se mêle de nos affaires, il n’a pas grand besoin qu’on l’aide, et on sait que lui fermer la porte n’est pas le moyen de l’empêcher d’entrer ; mais il entra ici par la croisée, et voici comment :

Ce jeune garçon en habit de hussard n’était pas autre que Gaston, fils de madame Doradour, qui s’était arraché, non sans peine, aux amourettes de sa garnison, et qui venait d’arriver chez sa mère. Le ciel voulut que la chambre où logeait Margot fût à l’angle de la maison, et que celle du jeune homme y fût aussi, c’est-à-dire que leurs deux croisées étaient presque en face l’une de l’autre, et en même temps fort rapprochées. Margot dînait avec madame Doradour, et passait près d’elle l’après-midi, jusqu’au souper ; mais de sept heures du matin jusqu’à midi, elle restait dans sa chambre. Or Gaston, la plupart du temps, était dans la sienne à cette heure-là. Margot n’avait donc rien de mieux à