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moyen d’être en même temps aimée et admirée, ce qui peut passer pour difficile.

Le lecteur sait déjà que Margot était filleule de madame Doradour, et que c’était elle qui lui avait écrit, sur un beau papier à vignettes, un compliment de bonne année. Cette lettre, qui n’avait pas dix lignes, avait coûté à la petite fermière bien des réflexions et bien de la peine, car elle n’était pas forte en littérature. Quoi qu’il en soit, madame Doradour, qui avait toujours beaucoup aimé Margot, et qui la connaissait pour la plus honnête fille du pays, avait résolu de la demander à son père, et d’en faire, s’il se pouvait, sa demoiselle de compagnie.

Le bonhomme était un soir dans sa cour, fort occupé à regarder une roue neuve qu’on venait de remettre à une de ses charrettes. La mère Piédeleu, debout sous le hangar, tenait gravement avec une grosse pince le nez d’un taureau ombrageux, pour l’empêcher de remuer pendant que le vétérinaire le pansait. Les garçons de ferme bouchonnaient les chevaux qui revenaient de l’abreuvoir. Les bestiaux commençaient à rentrer ; une majestueuse procession de vaches se dirigeait vers l’étable au soleil couchant, et Margot, assise sur une botte de trèfle, lisait un vieux numéro du Journal de l’Empire, que le curé lui avait prêté[1].

  1. Ce paragraphe est la description exacte d’un intérieur de ferme que l’auteur avait vu, en 1818, à l’âge de sept ans, et dont le tableau s’était gravé dans sa mémoire.