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choquer en trinquant leurs grands gobelets d’étain.

Au milieu de cette famille de géants était venue au monde une petite créature, pleine de santé, mais toute mignonne ; c’était le neuvième enfant de madame Piédeleu, Marguerite, qu’on appelait Margot. Sa tête ne venait pas au coude de ses frères, et, quand son père l’embrassait, il ne manquait jamais de l’enlever de terre et de la poser sur la table. La petite Margot n’avait pas seize ans ; son nez retroussé, sa bouche bien fendue, bien garnie et toujours riante, son teint doré par le soleil, ses bras potelés, sa taille rondelette, lui donnaient l’air de la gaieté même ; aussi faisait-elle la joie de la famille. Assise au milieu de ses frères, elle brillait et réjouissait la vue, comme un bluet dans un bouquet de blé. — Je ne sais, ma foi, disait le bonhomme, comment ma femme s’y est prise pour me faire cet enfant-là : c’est un cadeau de la Providence ; mais toujours est-il que ce brin de fillette me fera rire toute ma vie.

Margot dirigeait le ménage ; la mère Piédeleu, bien qu’elle fût encore verte, lui en avait laissé le soin, afin de l’habituer de bonne heure à l’ordre et à l’économie. Margot serrait le linge et le vin, avait la haute main sur la vaisselle, qu’elle ne daignait pas laver ; mais elle mettait le couvert, versait à boire et chantait la chanson au dessert. Les servantes de la maison ne l’appelaient que mademoiselle Marguerite, car elle avait un certain quant-à-soi. Du reste, comme disent les bonnes gens,