protestations d’amour, que Béatrice se décida à se séparer de lui pour quelques heures.
Elle ne dormit pas de la nuit ; les plus riants projets, les plus douces espérances l’agitèrent. Elle voyait déjà ses rêves réalisés, son amant vanté et envié par toute l’Italie, et Venise lui devant une gloire nouvelle. Le lendemain, elle se rendit, comme d’ordinaire, la première au rendez-vous, et elle commença, en attendant Pippo, par regarder son cher portrait. Le fond de ce portrait était un paysage, et il y avait sur le premier plan une roche. Sur cette roche, Béatrice aperçut quelques lignes tracées avec du cinabre. Elle se pencha avec inquiétude pour les lire ; en caractères gothiques très fins, était écrit le sonnet suivant :
Béatrix Donato fut le doux nom de celle
Dont la forme terrestre eut ce divin contour ;
Dans sa blanche poitrine était un cœur fidèle,
Et dans son corps sans tache un esprit sans détour.
Le fils du Titien, pour la rendre immortelle,
Fit ce portrait, témoin d’un mutuel amour ;
Puis il cessa de peindre à compter de ce jour,
Ne voulant de sa main illustrer d’autre qu’elle.
Passant, qui que tu sois, si ton cœur sait aimer,
Regarde ma maîtresse avant de me blâmer,
Et dis si par hasard la tienne est aussi belle.
Vois donc combien c’est peu que la gloire ici-bas,
Puisque, tout beau qu’il est, ce portrait ne vaut pas,
Crois-m’en sur ma parole, un baiser du modèle.