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trouva Béatrice qui l’attendait. Sans perdre de temps à lui raconter son aventure, il prit sa palette, et, encore ému de colère, il se mit à travailler au portrait.

En moins d’une heure il l’acheva. Il y fit en même temps de grands changements ; il retrancha d’abord plusieurs détails trop minutieux ; il disposa plus librement les draperies, retoucha le fond et les accessoires, qui sont des parties très importantes dans la peinture vénitienne. Il en vint ensuite à la bouche et aux yeux, et il réussit, en quelques coups de pinceau, à leur donner une expression parfaite. Le regard était doux et fier ; les lèvres, au-dessus desquelles paraissait un léger duvet, étaient entr’ouvertes ; les dents brillaient comme des perles, et la parole semblait prête à sortir.

— Tu ne te nommeras pas Vénus couronnée, dit-il quand tout fut fini, mais Vénus amoureuse.

On devine la joie de Béatrice ; pendant que Pippo travaillait, elle avait à peine osé respirer ; elle l’embrassa et le remercia cent fois, et lui dit qu’à l’avenir elle ne voulait plus l’appeler Tizianello, mais Titien. Pendant le reste de la journée, elle ne parla que des beautés sans nombre qu’elle découvrait à chaque instant dans son portrait ; non seulement elle regrettait qu’il ne pût être exposé, mais elle était près de demander qu’il le fût. La soirée se passa à la Quintavalle, et jamais les deux amants n’avaient été plus gais ni plus heureux. Pippo montrait lui-même une joie d’enfant, et ce ne fut que le plus tard possible, après mille