Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/307

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui manquerait tôt ou tard, et que ses anciens plaisirs l’entraîneraient de nouveau ; il courait donc la chance de faire un sacrifice inutile, soit que ce sacrifice fût entier, soit qu’il fût incomplet ; et quel fruit en recueillerait-il ? Il était jeune, riche, bien portant, et il avait une belle maîtresse ; pour vivre heureux sans qu’on eût, après tout, de reproches à lui faire, il n’avait qu’à laisser le soleil se lever et se coucher. Fallait-il renoncer à tant de biens pour une gloire douteuse qui, probablement, lui échapperait ?

C’était après y avoir mûrement réfléchi que Pippo avait pris le parti d’affecter une indifférence qui, peu à peu, lui était devenue naturelle. — Si j’étudie encore vingt ans, disait-il, et si j’essaye d’imiter mon père, je chanterai devant des sourds ; si la force me manque, je déshonorerai mon nom. Et, avec sa gaieté habituelle, il concluait en s’écriant : Au diable la peinture ! la vie est trop courte.

Pendant qu’il disputait avec Béatrice, le portrait restait toujours inachevé. Pippo entra un jour, par hasard, dans le couvent des Servites. Sur un échafaud élevé dans une chapelle, il aperçut le fils de Marco Vecellio, celui-là même qui, comme je l’ai dit plus haut, se faisait appeler aussi le Tizianello. Ce jeune homme n’avait pour prendre ce nom aucun motif raisonnable, si ce n’est qu’il était parent éloigné du Titien, et qu’il s’appelait, de son nom de baptême, Tito, dont il avait fait Titien, et de Titien Tizianello, moyennant quoi les ba-