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VIII


Le lecteur a pu remarquer que Pippo aimait les vins grecs. Or, quoique les vins d’Orient ne soient pas bavards, après un bon dîner il jasait volontiers au dessert. Béatrice ne manquait jamais de faire tomber la conversation sur la peinture ; mais, dès qu’il en était question, il arrivait de deux choses l’une : ou Pippo gardait le silence, et il avait alors un certain sourire que Béatrice n’aimait pas à voir sur ses lèvres ; ou il parlait des arts avec une indifférence et un dédain singuliers. Une pensée bizarre lui revenait surtout, la plupart du temps, dans ces entretiens.

— Il y aurait un beau tableau à faire, disait-il ; il représenterait le Campo-Vaccino à Rome, au soleil couchant. L’horizon est vaste, la place déserte. Sur le premier plan, des enfants jouent sur des ruines ; au second plan, on voit passer un jeune homme enveloppé d’un manteau ; son visage est pâle, ses traits délicats sont altérés par la souffrance ; il faut qu’en le voyant on devine qu’il va mourir. D’une main il tient une palette et des pinceaux, de l’autre il s’appuie sur une femme jeune et robuste, qui tourne la tête en souriant.