Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/299

Cette page a été validée par deux contributeurs.

faibles, elles se présentent d’une manière trop lente et trop successive, pour que le joueur, accoutumé à concentrer les siennes, puisse y prendre le moindre intérêt.

Heureusement pour Pippo, son père l’avait laissé trop riche pour que la perte ou le gain pussent exercer sur lui une influence aussi funeste. Le désœuvrement, plutôt que le vice, l’avait poussé ; il était trop jeune, d’ailleurs, pour que le mal fût sans remède ; l’inconstance même de ses goûts le prouvait ; il n’était donc pas impossible qu’il se corrigeât, pourvu qu’on sût veiller attentivement sur lui. Cette nécessité n’avait pas échappé à Béatrice, et, sans s’inquiéter du soin de sa propre réputation, elle passait près de son amant presque toutes ses journées. D’autre part, pour que l’habitude n’engendrât pas la satiété, elle mettait en œuvre toutes les ressources de la coquetterie féminine ; sa coiffure, sa parure, son langage même, variaient sans cesse, et, de peur que Pippo ne vînt à se dégoûter d’elle, elle changeait de robe tous les jours. Pippo s’apercevait de ces petits stratagèmes ; mais il n’était pas si sot que de s’en fâcher ; tout au contraire, car de son côté il en faisait autant ; il changeait d’humeur et de façons autant de fois que de collerette. Mais il n’avait pas, pour cela, besoin de s’y étudier ; le naturel y pourvoyait, et il disait quelquefois en riant : Un goujon est un petit poisson, et un caprice est une petite passion.

Vivant ainsi et aimant tous deux le plaisir, nos