Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/295

Cette page a été validée par deux contributeurs.

perdit une trentaine de sequins et s’en fut très peu satisfait. — Quel dommage, pensa Pippo, de ne pas jouer dans ce moment-ci ! je suis sûr que la bourse de Béatrice continuerait à me porter bonheur, et que je regagnerais en huit jours ce que j’ai perdu depuis deux ans.

C’était pourtant avec grand plaisir qu’il obéissait à sa maîtresse. Son petit atelier offrait l’aspect le plus gai et le plus tranquille. Il s’y trouvait comme dans un monde nouveau, dont cependant il avait mémoire, car sa toile et son chevalet lui rappelaient son enfance. Les choses qui nous ont été jadis familières nous le redeviennent aisément, et cette facilité, jointe au souvenir, nous les rend chères sans que nous sachions pourquoi. Lorsque Pippo prenait sa palette, et que, par une belle matinée, il y écrasait ses couleurs brillantes ; puis quand il les regardait disposées en ordre et prêtes à se mêler sous sa main, il lui semblait entendre derrière lui la voix rude de son père lui crier comme autrefois : Allons, fainéant ; à quoi rêves-tu ? qu’on m’entame hardiment cette besogne ! À ce souvenir, il tournait la tête ; mais, au lieu du sévère visage du Titien, il voyait Béatrice les bras et le sein nus, le front couronné de perles, qui se préparait à poser devant lui, et qui lui disait en souriant : Quand il vous plaira, mon seigneur.

Il ne faut pas croire qu’il fût indifférent aux conseils qu’elle lui donnait, et elle ne les lui épargnait pas. Tan-