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vait promis, car elle arrivait toujours la première. Le portrait était ébauché ; il avançait lentement, mais il était sur le chevalet, et, quoiqu’on n’y touchât pas la plupart du temps, il faisait du moins l’office de témoin, soit pour encourager l’amour, soit pour excuser la paresse.

Tous les matins, Béatrice envoyait à son amant un bouquet par sa négresse, afin qu’il s’accoutumât à se lever de bonne heure. — Un peintre doit être debout à l’aurore, disait-elle ; la lumière du soleil est sa vie et le véritable élément de son art, puisqu’il ne peut rien faire sans elle.

Cet avertissement paraissait juste à Pippo, mais il en trouvait l’application difficile. Il lui arrivait de mettre le bouquet de la négresse dans le verre d’eau sucrée qu’il avait sur sa table de nuit, et de se rendormir. Quand, pour aller à la petite maison, il passait sous les fenêtres de la comtesse Orsini, il lui semblait que son argent s’agitait dans sa poche. Il rencontra un jour à la promenade ser Vespasiano, qui lui demanda pourquoi on ne le voyait plus.

— J’ai fait serment de ne plus tenir un cornet, répondit-il, et de ne plus toucher à une carte ; mais, puisque vous voilà, jouons à croix ou pile l’argent que nous avons sur nous.

Ser Vespasiano, qui, bien qu’il fût vieux et notaire, n’en était pas moins le jeu incarné, n’eut garde de refuser cette proposition. Il jeta une piastre en l’air,