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VII


L’amour de Pippo et de Béatrice avait pu se comparer d’abord à une source qui s’échappe de terre ; il ressemblait maintenant à un ruisseau qui s’infiltre peu à peu et se creuse un lit dans le sable. Si Pippo eût été noble, il eût certainement épousé Béatrice ; car, à mesure qu’ils se connaissaient mieux, ils s’aimaient davantage ; mais, quoique les Vecelli fussent d’une bonne famille de Cador en Frioul, une pareille union n’était pas possible. Non seulement les proches parents de Béatrice s’y seraient opposés, mais tout ce qui portait à Venise un nom patricien se serait indigné. Ceux qui toléraient le plus volontiers les intrigues d’amour, et qui ne trouvaient rien à redire à ce qu’une noble dame fût la maîtresse d’un peintre, n’eussent jamais pardonné à cette même femme si elle eût épousé son amant. Tels étaient les préjugés de cette époque, qui valait pourtant mieux que la nôtre.

La petite maison était meublée ; Pippo tenait parole en y allant tous les jours. Dire qu’il travaillait, ce serait trop, mais il en faisait semblant, ou plutôt il croyait travailler. Béatrice, de son côté, tenait plus qu’elle n’a-