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Il fut convenu qu’à partir de ce jour, Pippo travaillerait régulièrement. Béatrice voulut qu’il s’y engageât par écrit. Elle tira ses tablettes, et en y traçant quelques lignes avec une fierté amoureuse :

— Tu sais, dit-elle, que nous autres Lorédans, nous tenons des comptes fidèles[1]. Je t’inscris comme mon débiteur pour deux heures de travail par jour pendant un an ; signe, et paye-moi exactement, afin que je sache que tu m’aimes.

Pippo signa de bonne grâce. — Mais il est bien entendu, dit-il, que je commencerai par faire ton portrait.

Béatrice l’embrassa à son tour, et lui dit à l’oreille :

— Et moi aussi je ferai ton portrait, un beau portrait bien ressemblant, non pas inanimé, mais vivant.

  1. Lorsque Foscari fut jugé, Jacques Lorédan, fils de Pierre, croyait ou feignait de croire avoir à venger les pertes de sa famille. Dans ses livres de compte (car il faisait le commerce, comme, à cette époque, presque tous les patriciens), il avait inscrit de sa propre main le doge au nombre de ses débiteurs, « pour la mort, y était-il dit, de mon père et de mon oncle ». De l’autre côté du registre, il avait laissé une page en blanc, pour y faire mention du recouvrement de cette dette ; et en effet, après la perte du doge, il écrivit sur son registre : l’ha pagata, il l’a payée. (Daru, Hist. de la République de Venise.) (Note de l’auteur.)