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déesse ; mais voici la mère de l’Amour et la maîtresse du dieu des batailles !

Il est facile de croire que son premier soin, en voyant un si beau modèle, ne fut pas de se mettre à peindre. Béatrice craignit un instant d’être trop belle et d’avoir pris un mauvais moyen pour faire réussir ses projets de réforme. Cependant le portrait fut commencé, mais il était ébauché d’une main distraite. Pippo laissa par hasard tomber son pinceau ; Béatrice le ramassa, et en le rendant à son amant : — Le pinceau de ton père, lui dit-elle, tomba ainsi un jour de sa main ; Charles-Quint le ramassa et le lui rendit : je veux faire comme César, quoique je ne sois pas une impératrice.

Pippo avait toujours eu pour son père une affection et une admiration sans bornes, et il n’en parlait jamais qu’avec respect. Ce souvenir fit impression sur lui. Il se leva et ouvrit une armoire. — Voilà le pinceau dont vous me parlez, dit-il à Béatrice en le lui montrant ; mon pauvre père l’avait conservé comme une relique, depuis que le maître de la moitié du monde y avait touché.

— Vous souvenez-vous de cette scène, demanda Béatrice, et pourriez-vous m’en faire le récit ?

— C’était à Bologne, répondit Pippo. Il y avait eu une entrevue entre le pape et l’empereur ; il s’agissait du duché de Florence, ou, pour mieux dire, du sort de l’Italie. On avait vu le pape et Charles-Quint causer