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Il y consentit sans peine ; le lendemain il acheta une toile, et fit apporter dans sa chambre un beau chevalet de chêne sculpté qui avait appartenu à son père. Béatrice arriva dès le matin, couverte d’une ample robe brune, dont elle se débarrassa lorsque Pippo fut prêt à se mettre à l’ouvrage. Elle parut alors devant lui dans un costume à peu près pareil à celui dont Pâris Bordone a revêtu sa Vénus couronnée. Ses cheveux, noués sur le front et entremêlés de perles, tombaient sur ses bras et sur ses épaules en longues mèches ondoyantes. Un collier de perles qui descendait jusqu’à la ceinture, fixé au milieu de sa poitrine par un fermoir d’or, suivait et dessinait les parfaits contours de son sein nu. Sa robe de taffetas changeant, bleu et rose, était relevée sur le genou par une agrafe de rubis, laissant à découvert une jambe polie comme le marbre. Elle portait en outre de riches bracelets et des mules de velours écarlate lacées d’or.

La Vénus de Bordone n’est pas autre chose, comme on sait, que le portrait d’une dame vénitienne ; et ce peintre, élève du Titien, avait une grande réputation en Italie. Mais Béatrice, qui connaissait peut-être le modèle du tableau, savait bien qu’elle était plus belle. Elle voulait exciter l’émulation de Pippo, et elle lui montrait ainsi qu’on pouvait surpasser le Bordone. — Par le sang de Diane ! s’écria le jeune homme lorsqu’il l’eut examinée quelque temps, la Vénus couronnée n’est qu’une écaillère de l’arsenal qui s’est déguisée en