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distance, et, presque malgré elle, regarda le comte. Elle suivait les mouvements de cette noble figure, qu’elle avait vue si belle à dix-huit ans lorsqu’il s’était jeté au-devant de son cheval. M. de Marsan perdait, et ses sourcils froncés ne lui prêtaient pas une expression gracieuse. Il sourit tout à coup ; la fortune tournait de son côté, et ses yeux brillèrent.

— Vous aimez donc beaucoup ce jeu ? demanda Emmeline en souriant.

— Comme la musique, pour passer le temps, répondit le comte.

Et il continua sans regarder sa femme.

— Passer le temps ! se répéta tout bas madame de Marsan, dans sa chambre, au moment de se mettre au lit. Ce mot l’empêchait de dormir. — Il est beau, il est brave, se disait-elle, il m’aime. Cependant son cœur battait avec violence ; elle écoutait le bruit de la pendule, et la vibration monotone du balancier lui était insupportable ; elle se leva pour l’arrêter. — Que fais-je ? demanda-t-elle ; arrêterai-je l’heure et le temps, en forçant cette petite horloge à se taire ?

Les yeux fixés sur la pendule, elle se livra à des pensées qui ne lui étaient pas encore venues. Elle songea au passé, à l’avenir, à la rapidité de la vie ; elle se demanda pourquoi nous sommes sur terre, ce que nous y faisons, ce qui nous attend après. En cherchant dans son cœur, elle n’y trouva qu’un jour où elle eût vécu, celui où elle avait senti qu’elle aimait. Le reste lui