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V


Il est impossible de rendre par des paroles la beauté des premiers regards que Béatrice jeta autour d’elle lorsqu’elle eut découvert son visage. Bien qu’elle fût veuve depuis dix-huit mois, elle n’avait encore que vingt-quatre ans, et quoique la démarche qu’elle venait de faire ait pu paraître hardie au lecteur, c’était la première fois de sa vie qu’elle en faisait une semblable ; car il est certain que jusque-là elle n’avait eu d’amour que pour son mari. Aussi cette démarche l’avait-elle troublée à tel point que, pour n’y pas renoncer en route, il lui avait fallu réunir toutes ses forces, et ses yeux étaient à la fois pleins d’amour, de confusion et de courage.

Pippo la regardait avec tant d’admiration, qu’il ne pouvait parler. En quelque circonstance qu’on se trouve, il est impossible de voir une femme parfaitement belle sans étonnement et sans respect. Pippo avait Souvent rencontré Béatrice à la promenade et à des réunions particulières. Il avait fait et entendu faire cent fois l’éloge de sa beauté. Elle était fille de Pierre Lorédan, membre du conseil des Dix, et arrière-petite-fille du fameux Lorédan qui prit une part si active au procès de