Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/274

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tiques s’ouvrent, les passants se croisent, les voitures roulent, les brouillards se jouaient sur la lagune déserte et couvraient d’un rideau les palais silencieux. Le vent ridait à peine l’eau ; quelques voiles paraissaient au loin du côté de Fusine, apportant à la reine des mers les provisions de la journée. Seul, au sommet de la ville endormie, l’ange du campanile de Saint-Marc sortait brillant du crépuscule, et les premiers rayons du soleil étincelaient sur ses ailes dorées.

Cependant les innombrables églises de Venise sonnaient l’Angelus à grand bruit ; les pigeons de la république, avertis par le son des cloches, dont ils savent compter les coups avec un merveilleux instinct, traversaient par bandes, à tire-d’aile, la rive des Esclavons, pour aller chercher sur la grande place le grain qu’on y répand régulièrement pour eux à cette heure ; les brouillards s’élevaient peu à peu ; le soleil parut ; quelques pêcheurs secouèrent leurs manteaux et se mirent à nettoyer leurs barques ; l’un d’eux entonna d’une voix claire et pure un couplet d’un air national ; du fond d’un bâtiment de commerce, une voix de basse lui répondit ; une autre plus éloignée se joignit au refrain du second couplet ; bientôt le chœur fut organisé, chacun faisait sa partie tout en travaillant, et une belle chanson matinale salua la clarté du jour.

La maison de Pippo était située sur le quai des Esclavons, non loin du palais Nani, à l’angle d’un petit canal ; en cet instant, au fond de ce canal obscur, brilla