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lemment le voile qui couvrait sa poitrine et lui posa son poignard sur le cœur.

La Bianchina se crut morte et commença à appeler au secours ; mais Pippo lui bâillonna la bouche avec son mouchoir, et, sans qu’elle pût pousser un cri, il la força d’abord de lui rendre la bourse qu’elle avait heureusement conservée. — Tu as fait le malheur d’une puissante famille, lui dit-il ensuite, tu as à jamais troublé l’existence d’une des plus illustres maisons de Venise ! Tremble ! cette maison redoutable veille sur toi ; ni toi ni ton mari, vous ne ferez un seul pas, maintenant, sans qu’on ait l’œil sur vous. Les Seigneurs de la Nuit ont inscrit ton nom sur leur livre, pense aux caves du palais ducal. Au premier mot que tu diras pour révéler le secret terrible que ta malice t’a fait deviner, ta famille entière disparaîtra !

Il sortit sur ces paroles, et tout le monde sait qu’à Venise on n’en pouvait prononcer de plus effrayantes. Les impitoyables et secrets arrêts de la corte maggiore répandaient une terreur si grande, que ceux qui se croyaient seulement soupçonnés se regardaient d’avance comme morts. Ce fut justement ce qui arriva au mari de la Bianchina, ser Orio, à qui elle raconta, à peu de chose près, la menace que Pippo venait de lui faire. Il est vrai qu’elle en ignorait les motifs, et en effet Pippo les ignorait lui-même, puisque toute cette affaire n’était qu’une fable ; mais ser Orio jugea prudemment qu’il n’était pas nécessaire de savoir par quels motifs on