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qu’elle était, elle devint sédentaire. Il semblait que l’agilité de son corps l’eût quittée, et ne fût restée que dans son esprit. Elle sortait rarement, comme son mari, et on ne passait guère le soir sous sa fenêtre sans voir la lumière de sa lampe. Là se rassemblaient quelques amis ; comme les gens d’élite se cherchent, l’hôtel de Marsan fut bientôt un lieu de réunion très agréable, que l’on n’abordait ni trop difficilement ni trop aisément, et qui eut le bon sens de ne pas devenir un bureau d’esprit. M. de Marsan, habitué à une vie plus agitée, s’ennuyait de ne savoir que faire. Les conversations et l’oisiveté n’avaient jamais été fort à son goût. On le vit d’abord plus rarement chez la comtesse, et peu à peu on ne le vit plus. On a dit même que, fatigué de sa femme, il avait pris une maîtresse ; comme ce n’est pas prouvé, nous n’en parlerons pas.

Cependant Emmeline avait vingt-cinq ans, et sans se rendre compte de ce qui se passait en elle, elle sentait aussi l’ennui la gagner. L’allée des Soupirs lui revint en mémoire, et la solitude l’inquiéta. Il lui semblait éprouver un désir, et, quand elle cherchait ce qui lui manquait, elle ne trouvait rien. Il ne lui venait pas à la pensée qu’on pût aimer deux fois dans sa vie ; sous ce rapport, elle croyait avoir épuisé son cœur, et M. de Marsan en était pour elle l’unique dépositaire ; lorsqu’elle entendait la Malibran, une crainte involontaire la saisissait ; rentrée chez elle et renfermée, elle passait quelquefois la nuit entière à chanter seule, et il ar-